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Exposé Intégral |
5 / "Eau partagée" ou l’éveil d’une conscience civique Le Syndicat intercommunal de Distribution d’Eau de la Corniche des Maures assure l’alimentation en eau de neuf communes du Golfe de Saint-Tropez. Dans cette région où la population passe de 40000 à 200000 habitants en période estivale, l’une des principales préoccupations du Syndicat est de faire face à l’augmentation majeure des besoins durant ce passage, lorsque les ressources disponibles sont alors plus limitées. Pour ce faire le syndicat entreprit dès 1992 de diversifier ces dernières en construisant un barrage au cœur des montagnes voisines des Maures, zone sensible, et procéda à cette occasion à une opération d’information en direction des adultes comme des enfants. De nombreux écoliers vinrent visiter le chantier de construction ainsi qu’une première exposition sur le thème de l’eau douce. Dans le même temps le Syndicat s’engagea également à soutenir aux côtés de l’association "Eau Vive" un programme de construction de puits et de digues anti-érosives dans la région sahélienne du Burkina Faso. De ces deux démarches naquit une troisième, celle d’un programme de classes d’eau. Celui-ci se donne pour objectif de faire découvrir aux enfants "l’eau d’ici", c’est à dire celle du rivage nord-méditerranéen, avec sa richesse et sa fragilité, et "l’eau d’ailleurs", celle d’un village du Sahel où l’avancée du désert fait planer sur une mare une menace bien réelle de disparition. Le but est d’amener les enfants par la mesure et la comparaison à prendre conscience des enjeux locaux et planétaires de la gestion de l’eau. Le programme se déroule successivement en trois temps : un temps de découverte et d’apprentissage au cours duquel les enfants vont acquérir sur le terrain des connaissances techniques, scientifiques, culturelles mais également des vertus d’ordre civique et plus largement humaines ; un temps d’action et d’implication au cours duquel ils vont en classe organiser et mettre en place une exposition annuelle dont les recettes financeront des projets réalisés au Sahel ; puis enfin un temps de restitution qui prendra la forme de cette exposition ouverte au public et durant laquelle il sera possible de recueillir des fonds et de faire connaître aux enfants, aux parents, et aux visiteurs les réalisations des uns et des autres. Le temps de découverte se découpe en journées thématiques animées par une équipe pluridisciplinaire de géologues, biologistes, techniciens et professionnels de l’eau. Le premier thème est celui des sources, des sols et des plaines. Il s’agit pour le groupe de suivre le cheminement d’une goutte depuis sa source jusqu’à la plaine alluviale. Découvrant paysages et minéraux les enfants se livrent à diverses expériences et constitutions d’ateliers portant sur la structure de la terre, sur l’infiltration et le ruissellement, sur la construction d’une source miniature. Ils sont alors en mesure d’appréhender les phénomènes tels que l’érosion, le transport et le dépôt de matériaux, l’écoulement souterrain, le retard d’une source, les relations entre le sol et la végétation. Ils peuvent par exemple suivre le déplacement des paillettes de mica qu’ils identifient au sommet du massif et qu’ils retrouvent dans les alluvions de la basse plaine. Ils peuvent procéder à un carottage, à des prélèvements et à des mesures de l’eau souterraine, comprendre le processus de comblement d’une plaine et le cycle de l’eau sur un bassin versant tel que celui des Maures. Le deuxième thème est celui de l’eau et de la vie. Il consiste pour les enfants à découvrir le milieu aquatique et à en apprécier la richesse et la diversité d’espèces. La matinée se passe à observer les habitants d’un lac et de ses berges : planctons, végétaux, vers décomposeurs des boues, poissons, tortues, hérons, cormorans… et à reconstituer la chaîne alimentaire. L’après midi se passe au bord d’une rivière observée en tant que milieu fermé avec ses multiples et intimes interrelations entre l’eau et le couloir végétal qui l’entoure. Munis de passoires et de filets les enfants pêchent toutes sortes de larves, d’insectes, de crustacés, les observent et les décrivent soigneusement afin d’en comprendre l’adaptation à leur milieu. Ils découvrent la perle, véritable bio-indicateur de qualité car extrêmement sensible à la pollution. Ils peuvent ainsi mesurer le lien entre biodiversité et qualité. La troisième journée a pour thème l’eau potable et les risques de pollution. Elle a pour but de démontrer aux enfants la fragilité des milieux aquatiques et de leur faire comprendre la nécessité de les protéger pour disposer d’eau potable. La matinée débute par un film aux images chocs sur les différentes pollutions de l’eau. Il suscite les plus vives réactions. Après avoir identifié les diverses menaces qui pèsent sur leur proche environnement – celui qu’ils connaissent – les enfants peuvent participer à une réflexion sur les moyens de s’en prémunir et notamment sur la nécessité d’une responsabilisation du public. Durant l’après midi ils procèdent à diverses expériences de potabilisation : analyses, oxydation, floculation, filtration, stérilisation… Ils visitent ensuite une usine de traitement visualisant ainsi toutes ces étapes en grandeur nature. La quatrième journée est consacrée au milieu forestier méditerranéen. Celui-ci est abordé au travers d’une promenade sensorielle privilégiant l’imaginaire. Déguisés en bûcherons, gardes-forestiers, pompiers ou chasseurs les enfants rentrent dans la peau des acteurs de la forêt et partent à une chasse au trésor : celle des cèdres centenaires ! S’imprégnant du lieu et de son atmosphère par des moments de silence et d’écoute, dialoguant avec les oiseaux grâce à des appeaux, ramassant des échantillons, relevant des empruntes, ils s’immergent dans un monde fabuleux qu’ils apprennent à aimer et donc à respecter. Ils apprennent également à connaître ses souffrances, notamment la plus terrible de toutes : l’incendie[1]. La cinquième et dernière journée est celle de l’élargissement : elle est consacrée aux planètes, au climats, aux déserts et à la découverte d’un village sahélien. Elle se déroule cette fois-ci à l’intérieur de l’école. Un voyage vidéo à travers le système solaire permet aux enfants de comprendre le privilège de notre planète bleue, la seule à disposer d’eau à l’état liquide, et donc de vie. La classe étudie ensuite cette relation en comparant répartition géographique des pluies et zones de végétation. Ce deuxième voyage les amène ensuite au cœur du village de Markoye, au nord-est du Burkina Faso. Un film leur fait découvrir son quotidien, son marché, ses visages, ses costumes, sa musique, ses danses, ses coutumes, son école. Les enfants peuvent mesurer les rapports difficiles entre les habitants et une eau présente en quantité limitée, qu’il faut généralement aller chercher très loin, et qui est souvent porteuse de maladies. Le film leur fait découvrir la mare du village, menacée de disparition par l’avancée du désert. Celle-ci trouve son origine dans les sécheresses successives, mais également dans l’érosion du sol, la disparition des arbres et de la végétation, et bien sûr dans la pression exercée par les hommes et par les animaux. Le village accompagnera sa mare dans sa disparition. Mais ses habitants pour autant ne désarment pas : créant des pépinières, reboisant des parcelles qu’ils protégent de l’appétit des animaux par des clôtures électriques (solaires), construisant des puits, installant des pompes manuelles et formant des techniciens capables d’en assurer le fonctionnement et l’entretien, ils trouvent encore le moyen, aux dires des bénévoles d’Eau Vive et d’Amis du Sahel avec qui j’ai pu discuter, de partager équitablement le peu qu’ils possèdent, et surtout, ce que je considère comme la marque d’une grande dignité et que j’aimerais rencontrer plus souvent dans notre propre pays, de ne pas se lamenter sur leur mauvais sort… et d’être heureux !
Une fois ces journées thématiques clôturées, les enfants ont la possibilité d’agir et de participer à une action humanitaire concrète au bénéfice du village : tout d’abord par l’envoi de matériel scolaire à savoir cahiers, crayons, gommes et règles, objets si communs sous nos latitudes mais qui peuvent faire cruellement défaut aux écoliers burkinabés ; ensuite par la réalisation tout au long de l’année scolaire de multiples créations centrées sur le thème de l’eau telles que des maquettes, des poésies, des spectacles, des jeux et de nombreuses autres activités qui seront présentées en fin d’année lors d’une exposition "L’Eau partagée". Afin de pouvoir toucher le plus large public mais aussi de créer une dynamique de sensibilisation sur la région, elle est accueillie chaque année par l’une des communes gérées par le Syndicat. En cette année 2000, le choix se porta sur le petit village de Plan de la Tour du 20 au 28 mai. Vingt écoles soit soixante-quinze classes participèrent à sa préparation. L’exposition s’organise chaque jour autour d’une chasse au trésor, activités et réalisations étant disséminées dans tout le village. Les principaux lieux de rendez-vous sont néanmoins le Foyer des campagnes, reconverti en salle de jeux, la salle de judo qui fera office de salle de projection, et le village africain reconstitué sur l’un des parking de la commune. Les visites, qu’elles soient celles des classes participantes, des écoles invitées ou du public se font continuellement et sont orchestrées avec une précision d’orfèvre par M. Francis José-Maria, Secrétaire Général du Syndicat, et par son équipe de bénévoles. Tous et toutes sont à la fois coordinateurs et animateurs. A leur arrivée, les enfants sont immédiatement plongés dans le jeu en apprenant qu’un village africain a perdu le Masque de la Pluie, dérobé et brisé en multiples morceaux par le Dieu des Vents ! Il leur faut donc retrouver ces morceaux dispersés dans toute l’exposition et pour cela surmonter plusieurs épreuves. La première d’entre elles se déroule devant le Foyer des campagnes à l’entrée duquel a été placé un orque de carton-pâte et un poème. Nous entrons dans le Jeu de l’Eau qui se présente sous la forme d’un jeu de l’oie installé autour d’une fontaine et dont le parcours aboutit à l’eau. Le jeu est structuré de telle façon à en valoriser la connaissance ainsi que celle des comportements nécessaires à sa préservation. Certaines cases correspondent à un questionnaire, et d’autres modifient le rythme du jeu. Ainsi les cases "vague bleue" "poussent" le joueur qui double le chiffre qu’il a fait aux dés. Au contraire les cases "le pollueur doit payer pour les dégâts" provoque un retour à la case départ ! Plusieurs joueurs de la même équipe se trouvant simultanément sur le terrain mais poursuivant chacun leur propre parcours , le jeu est à la fois individuel et collectif. Il implique également la maîtresse d’école qui délivre à l’équipe les interrogations du questionnaire. Les enfants sont ensuite conduits à la salle de judo dans laquelle leur est projeté une partie du CD-Rom interactif "L’Or Bleu" dont la description vous a été faite précédemment. Installés dans le vaisseau d’exploration nous quittons la Planète Rouge pour la Planète Bleue et un voyage à travers le temps et l’espace. Les enfants vont cette fois-ci devoir répondre à trois énigmes : depuis combien de temps la vie est-elle apparue ? Comment s’appelait le dieu mythologique de la mer ? et quel était le nom de cet explorateur vénitien qui alla jusqu’en Chine au Moyen Age ? Les réponses à ces questions se trouvent dans le CD-Rom et seront découvertes au cours du voyage. Pour cela il nous faudra nous déplacer d’un tableau à l’autre au moyen du vaisseau d’exploration et être très attentif aux indices figurant sur la fresque. Tiens un dinosaure ! croyez-vous qu’il puisse nous conduire à la première réponse ? Une cité grecque ! des caravelles espagnoles ! des pics montagneux ! Et notre vaisseau d’aller le long des côtes, de longer les fleuves, de s’immerger sous les flots, de croiser une baleine mais également de s’attarder sur une plante ou sur des gens qui souffrent de soif. Une fois toutes les réponses trouvées, les enfants reçoivent un morceau de masque. La fin du parcours – mais aussi le bouquet final de l’exposition – est l’arrivée au village sahélien. Je me dois ici de dire combien j’ai été impressionné par le travail accompli par l’équipe de bénévoles. Le village est une véritable merveille et je ne sais trop comment le décrire ! Reconstitué avec ce qui me semble être des tonnes ( ! ) de sable, le sol accueille en son centre panières et étoffes colorées d’un marché africain, tandis qu’une hutte aménagée près de laquelle s’étale langoureusement une pirogue – ce qui est assez comique en soi lorsque l’on considère l’absence d’eau, mais il faut bien dire qu’au moment où l’on se ballade dans le village on n’y voit que du bleu tellement que c’est bien fait ! – invite à la cérémonie du thé. Le village est entouré de hautes clôtures de bois évoquant celles de quelque Fort Alamo, et refermant cet espace qui n’en devient que plus crédible. Observant cette reconstitution digne d’un décorateur de théâtre il me vient à penser aux paroles de l’un des directeurs du centre aéré où j’ai pu exercer et qui me disait qu’il fallait veiller lorsque l’on aménageait une salle à organiser des petits coins-mondes où l’enfant immergé dans un imaginaire sécurisant et cohérent pouvait s’épanouir en jouant tranquillement. L’ayant observé et constaté à plusieurs reprises, je suis intimement persuadé que la gestion et la structuration de l’espace est l’une des conditions essentielles à la réussite d’une activité d’animation. Dans notre village, donc, tout n’est que bois et sable. Comme le soleil est au rendez-vous je suis plongé dans un autre monde. Mais voici bientôt les enfants. Cette fois, nos visiteurs sont partagés en plusieurs groupes : certains vont enfiler des boubous et aller chercher de l’eau à la fontaine (située approximativement à une trentaine de mètres), d’autres vont piler le mil, d’autres jouer du tam-tam, tandis que les derniers se livreront à la peinture d’une fresque. Je me mêle au groupe des chercheurs d’eau. Leur tâche n’est pas facile car ils doivent sortir du village jusqu’à la fontaine – à pompe bien entendu, afin qu’ils éprouvent la difficulté dont les robinets de la civilisation nous ont affranchis – ramener l’eau dans des récipients qu’il faut porter sur sa tête, en se tenant bien droit et en levant le menton de façon à ne pas en renverser le précieux contenu, et enfin déverser ce dernier dans un tonneau. Vous imaginez aisément leur réaction lorsque les animateurs leur révèlent que tandis que nous jouons ensemble, des gens, et en particulier des femmes, doivent se livrer à cet exercice quotidiennement, et qu’ils leur demandent ce qu’ils penseraient s’ils devaient faire de même, sachant que chaque goutte renversée sera une goutte en moins à boire… Equipé de deux marques, le tonneau permet de visualiser la différence entre les consommations européenne et sahélienne. Jean-Michel, animateur bénévole de l’association Eau Vive, explique aux enfants que cette quantité limitée oblige à des usages plus économes et plus largement à un mode de vie différent, beaucoup moins confortable. Les yeux s’écarquillent, le message est passé. Le tonneau est vidé, il attendra le prochain groupe. Dans le fond de notre village se trouve le coin tombola : quelques tables, quelques piquets et une sorte de tonnelle. C’est ici qu’a lieu une vente de sculptures de bronze burkinabés. Les bénéfices de celle-ci seront intégrés au financement de projets humanitaires, essentiellement le reboisement des bords de la mare de Markoye afin qu’elle ne s’assèche, et l’installation de puits. Je rencontre les bénévoles du Syndicat, ceux de l’association Eau Vive et ceux de l’association Les Amis du Sahel. Ils m’expliquent que leur action se concentre en particulier sur la scolarisation et sur la santé. A leur actif la création de deux classes de collèges (6ème et 5ème) et d’une maternité. Ils prennent soin, ajoutent-ils d’apporter directement les dons récoltés et de n’acheminer jamais d’argent afin d’éviter tout risque de vol ou de dissipation. L’un d’eux me révèle le procédé utilisé par les sculpteurs du Sahel à partir du principe de la "cire perdue" : modeler l’objet dans la cire, confectionner autour de sa structure un moule de terre, et le mettre au four. La cire fondue dans la terre cuite, il n’y a plus qu’à la remplacer par du bronze. Nos échanges sont brusquement interrompus par l’arrivée concomitante de deux groupes, l’un d’eux ayant vraisemblablement sauté une activité suite à une erreur d’aiguillage. Les enfants sont agités. C’est à ce moment là que je m’aperçois que l’équipe n’est pas assez nombreuse pour gérer la masse importante de nos petits monstres. Cris, piaillements, poussière, tam-tam, enfants qui courent dans tous les sens… Je me dis que la concentration du marché et de la hutte sur le centre droit de l’espace et le manque d’animateurs y sont pour quelque chose car ils ne favorisent pas la division en petits groupes et l’isolation nécessaires à ce type de situation. Dans le fond, éloignés par moins d’une dizaine de mètres, les artistes peintres paraissent plus calmes et ne semblent pas prêter attention à ce qui les entoure. Il est vrai que la peinture réclame de la concentration. Je m’aperçois également que les animateurs bénévoles ne possèdent pas les techniques d’animation et sont donc obligés de travailler "à l’instinct". N’ayant il me semble pas préparé d’argumentaire relatif à la difficulté des villageoises à aller chercher l’eau à la pompe, à la restriction économe imposée par le tonneau, ou à la façon dont on doit tenir le récipient, Jean-Michel n’introduit pas systématiquement le jeu et ne délivre pas systématiquement non plus le message éducatif. Je remarque aussi qu’il reste debout lorsqu’il s’adresse en particulier à un enfant, alors qu’il convient de se baisser pour être à niveau (c’est une question de crédibilité). Ça il faut le savoir et je me dis que franchement, je ne vois pas comment lui en vouloir car ce n’est pas son métier. Une équipe d’animation, type BAFA ou BEATEP, sait qu’elle doit toujours apprendre un certain nombre de phrases clés ou de questionnements par cœur afin d’agir par réflexe. Cela permet souvent de contrôler la réaction du public car celui-ci n’a pas le temps d’être laissé à lui-même. C’est ce qui me fait comparer l’animation au théâtre. Travailler "à l’instinct" c’est prendre le risque de produire une fausse note et de voir la situation échapper à l’équipe. Cela se traduit par fatigue et irritabilité. Un bon encadrement demande néanmoins un effectif en nombre suffisant, ce qui en l’espèce faisait défaut. C’est le problème du bénévolat. J’observe également l’attitude "non-participative" des maîtresses d’école qui ne s’impliquent pas dans l’activité du village. Se plaçant en retrait ou restant debout au milieu de l’animation elles semblent s’extraire du groupe et ne pas souhaiter l’intégrer, et ce, contrairement à ce qui s’est passé au moment du Jeu de l’Eau. Au milieu de l’agitation festive elles paraissent se tenir au centre d’un "vide". J’avoue alors y avoir vu une manifestation de la différence entre le rôle de l’animateur et celui de l’enseignant qui ne doivent pas avoir vis à vis de l’enfant la même distance physique. Je ne me suis peut être pas totalement trompé mais l’explication est bien plus simple : en réalité, nos maîtresses, probablement soucieuses et sans nul doute consciencieuses, surveillaient "leurs" petits. Repensant au village au moment d’écrire ces lignes, je réalise également que tous les enfants ne passent pas par la fontaine puisque s’en excluent les peintres, les musiciens, et les cuisiniers. La visite ne devient alors pour eux qu’un pur moment de détente. Or, cela va à l’encontre des objectifs pédagogiques qui sont notamment, je le rappelle, la prise de conscience par l’enfant des enjeux de l’eau par la comparaison d’un ici et d’un ailleurs[2]. Certes tous ne pourraient pas accomplir en même temps la même activité au même endroit et il serait surtout cruel et malvenu de ne pas leur laisser la possibilité de choisir entre plusieurs options, mais je pense toutefois qu’il serait bon d’élaborer une astuce pour que tous soient sensibilisés à la question de l’eau. Interrompre leur activité par l’arrivée d’une troupe exécutant une danse de la pluie[3] ou les faire asseoir en cercle autour d’un "vieux sage" qui leur raconterait l’histoire du village. Même si l’exposition est le résultat d’un projet pédagogique se déroulant sur un an et même si la visite fait l’objet, d’après le témoignage d’une maman, d’un suivi en classe à posteriori (suivi qui peut permettre une évaluation des acquis sous forme de rédaction par exemple), il me semble essentiel que l’action de sensibilisation touche tous les enfants entrés dans le village. Celui-ci, univers clos et cohérent est même le lieu idéal pour cela. Un autre temps fort de l’exposition est la visite du Foyer des campagnes où sont rassemblées toutes les créations des enfants. Alignées sur plusieurs dizaines de mètres carrés des tables présentent ici des poèmes, là des jeux de société, ici encore une expérience de sciences physiques sur la pression, une autre sur l’électricité. Mobiles, masques africains et fresques tout aussi colorées tapissent les murs. Des panneaux figurent le cycle de l’eau, les métiers de la forêt, les paysages, l’eau en bouteille, les fontaines. Des maquettes reproduisent des barrages, des canyons, des parcs aquatiques. L’une d’entre elles est même reliée à un magnétophone afin qu’elle puisse produire des sons ! Que d’imagination, que de patience, que de travail. On se croirait dans un magasin de jouets. Je suis dans la caverne d’Ali Baba ! Comme mes lecteurs l’auront compris en parcourant ces développements, il me fait plaisir de saluer dans cet exposé les bénévoles et les enfants « d’Eau partagée ». Ce que j’apprécie en particulier c’est leur volonté d’associer l’éducation au respect de l’eau à une action concrète vis à vis de ceux qui en ont besoin. Loin des discours conférenciers, loin des grands-messes, le Syndicat Intercommunal de Distribution de la Corniche des Maures contribue à la solidarité et à l’échange entre les peuples. Au cours de l’un de nos échanges M. José-Maria me confiait que les congrès internationaux se soldaient toujours par des conclusions générales mais ne parlaient jamais des moyens à employer sur le terrain car ils ignorent les contextes locaux. Il convient donc de multiplier les réseaux et les rencontres et engager une approche d’action locale des problèmes de développement, même si l’approche conceptuelle du problème est globale. "Eau partagée" favorise selon moi l’éveil de l’enfant aux sens de l’altérité et de la relativité. Elle est une fenêtre sur un extérieur dont il ne connaît pas l’existence et dont il ignore les différences. Elle est aussi une ouverture à la solidarité par l’implication de l’enfant dans le don matériel et par sa participation à une démarche à vocation humanitaire. Elle lui apprend également à se concentrer pendant toute une année sur la réalisation d’un objectif. Eveillant son sens artistique l’enfant emmagasine connaissances scientifiques et savoir-faire technique dans une alternance entre les rythmes scolaires et ceux des interventions extérieures. Il apprend également à travailler en groupe et voit son travail valorisé et reconnu. "Eau partagée" offre également au public une occasion de s’informer durant ses conférences, de prendre part au débat durant ses tables rondes et de se distraire durant ses projections. J’ajouterai qu’elle élargit la problématique de la gestion de l’eau à l’ensemble de l’écosystème, en particulier au milieu forestier[4]. J’ai eu au cours de mes recherches l’occasion d’avoir connaissance d’autres démarches pédagogiques impliquant le public scolaire. Deux me paraissent particulièrement intéressantes : celle des Eco-Ecoles, de la Fédération Européenne d’Education à l’Environnement, et celle du programme "L’Eau et la Vie en Méditerranée". Je ne puis faute de temps et de place les intégrer à cet exposé et en faire l’analyse. Je laisse toutefois à mes lecteurs la liberté d’en prendre connaissance en se rendant aux adresses suivantes : http://www.feee.org et http://www.funredes.org/agua/files/education/GROSJEAN.rtf . Toutes les démarches que nous avons examinées jusqu’ici et la plupart de celles que nous examinerons par la suite comportent une partie terrain, tantôt confiée à des professeurs, tantôt à des professionnels de l’eau, tantôt à des animateurs. Je souhaiterais à présent évoquer cette partie terrain au travers d’un exemple auquel j’ai pu assister. [1] Au cours de l’une de nos rencontres, M.José-Maria, Secrétaire Général du Syndicat m’a confié une petite astuce d’animateur : s’étant appuyé nonchalamment sur un tronc calciné, l’intervenant se passe "machinalement" la main sur le visage, le noircissant ainsi de charbon. Cela ne manque pas d’attirer l’attention des enfants et permet d’aborder directement le sujet. Je me permettrai d’ajouter que la situation crée un ancrage visuel dans l’esprit des enfants, pour qui l’incendie est désormais associé à quelque chose de salissant. [2] J’écris bien "notamment" car il est évident qu’ "Eau partagée" a également pour vocation de faire découvrir à l’enfant d’ici l’existence et la vie de cet ailleurs. L’eau tient alors lieu de prétexte à dépasser les frontières de nos conceptions. C’est l’un des avantages de son caractère transversal – j’ai plaisir à dire qu’elle est un dénominateur commun – que de permettre à l’eau de nous faire nous pencher sur des sujets aussi vastes que l’écosystème, la société, la citoyenneté, la culture ou le développement. [3] A ce propos, le groupe burkinabé Saaba se produisit dans la soirée du 27 mai proposant au public un spectacle de danse, contes et percussions du Burkina Faso. [4] Parallèlement aux ateliers que j’ai pu citer se tenait également au sein d’un groupe scolaire une animation scientifique sur la forêt méditerranéenne organisée et dirigée par des représentants de l’Office National des Forêts et de l’Association Scientifique Sud-Est Méditerranée (ASSEM). Le milieu forestier y était reconstitué et les enfants pouvaient notamment s’y livrer à diverses activités d’observation et de découverte.
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