Pour une éducation du public au respect de l'eau
 

Accueil

Exposé Intégral

Version Conférence

Tout Savoir en une seule page !

Qui suis-je ?

Ecrivez moi

Plan du site

Liens

 

2 / Gardez-vous des portes !

La technique dite de "l’amorçage" consiste à faire prendre à quelqu'un une décision sur une mauvaise base d’information, soit en lui cachant son coût réel, soit en lui en présentant des avantages fictifs. La décision prise la vérité est rétablie et la décision apparaît donc moins avantageuse qu’auparavant. L’agent demande alors à son interlocuteur s’il la maintient malgré tout. On constate en principe une persévération de la décision initiale.

En voici un exemple des plus courants : vous tombez en arrêt devant une magnifique paire de chaussures italiennes très généreusement soldées dans la vitrine d’un magasin. Vous entrez convaincu de pouvoir réaliser une bonne affaire mais vous apprenez que votre pointure n’est plus disponible. Heureusement cette charmante vendeuse vous propose une décision de substitution : un modèle similaire à votre pointure mais hélas non soldé. Si vous l’achetez, vous avez été victime d’un amorçage assorti d’un leurre.

La technique dite du "pied dans la porte" consiste quant à elle à obtenir dans un premier temps de son interlocuteur une première décision très peu coûteuse, ainsi qu’un comportement dit "acte préparatoire", afin d’en obtenir ensuite de plus importants. Par cette technique, Freedman et Fraser (en 1966) obtinrent de ménagères californiennes qu’elles accueillent chez elles un groupe d’enquêteurs ayant carte blanche pour fouiller dans les placards et d’autres qu’elles posent dans leur jardin un grand panneau publicitaire enjoignant les automobilistes à une conduite prudente. Dans le premier cas, les deux chercheurs avaient préalablement demandé aux personnes sollicitées de répondre à une enquête téléphonique, et dans le second de coller une vignette sur leur pare-brise. L’un des nombreux intérêts du pied dans la porte est que la deuxième requête peut être implicite, c’est à dire résultant des circonstances, arrangées ou pas. Démonstration en 1975 par Uranowitz : un premier expérimentateur se déguise en M. Tout le Monde et demande à la personne qui le précède à la caisse d’un supermarché de bien vouloir garder son sac à provision, car il vient de se rendre compte qu’il vient d’oublier son argent à la boulangerie. La cliente y consent volontiers. Ses achats payés elle se rend un peu plus tard à la galerie marchande. C’est là qu’intervient un deuxième expérimentateur qui lui, fait mine de perdre deux paquets de café… Uranowitz rapporta que 80 % des ménagères sollicitées une première fois alertèrent le second individu, contre seulement 35 % des clientes n’ayant fait l’objet d’aucun acte préparatoire. Or ici la deuxième requête est tout à fait inexistante. Cela ouvre bien des perspectives…

La technique du pied dans la porte n’est d’ailleurs pas une invention des psychologues sociaux car elle se pratique, consciemment ou inconsciemment tous les jours dans les rapports humains. Pour ne citer cette fois aucun auteur, j’en donnerai un exemple personnel.

L’exposé que vous êtes en train de lire a été réalisé à l’occasion d’une année de troisième cycle universitaire dont le thème général était la Gestion de l’eau. Comme tout un chacun, il m’arrive de dire ce que je fais aux gens que je rencontre. A l’occasion d’une sortie organisée par une association de sauvegarde du milieu marin dans la calanque de Cassis (Bouches du Rhône) j’eus l’occasion d’échanger quelques mots avec l’animateur de l’association. Intéressé par notre formation il me posa sur elle un certain nombre de questions et me demanda les coordonnées de notre institut. Je les lui donnai avec plaisir. Un peu plus tard, il me proposa de venir l’assister les dimanches d’été dans une opération de sensibilisation des plaisanciers sur le thème de l’herbier de posidonies, et de l’aider à faire respecter la réglementation portuaire. Bien que je n’en eus pas particulièrement envie, j’acceptai. A vrai dire cela ne m’arrangeait pas car, pressé par le temps, je m’astreignais à une organisation du travail assez stakhanoviste et tant qu’à prendre mon dimanche, n’avais pas très envie de le passer sur un zodiac à jouer au gendarme et au plaisancier ! D’autre part la perspective du trajet ne m’enchantait guère. Je tins cependant mon engagement et passa un dimanche suffisamment ennuyeux pour décider de m’en tenir là. Il me vint par la suite l’idée d’avoir été la "victime" d’un petit pas dans la porte qui m’engagea dans un comportement auquel je n’aurais jamais souscrit de moi-même en de telles circonstances, que l’on n’aurait pu obtenir de moi par la simple persuasion, et que l’on aurait encore moins pu m’imposer par la force ou par la promesse d’une récompense.

J’aurais pu également citer un exemple beaucoup plus courant qui concerne les gens enclins à rendre service facilement ou à écouter les malheurs des autres. Ils se demandent toujours pourquoi ils sont toujours sollicités par x ou par y sans s’apercevoir qu’ils développent généralement un comportement qui commence très souvent par peu et qui entraîne les bénéficiaires à réitérer leurs sollicitations. Et c’est bien normal car il est logique de se tourner vers une personne que l’on sait encline à rendre service. Moult situations de la vie courante renferment donc des pas dans la porte, les démarcheurs à domicile et les séducteurs le savent bien. Cette universalité en fait l’outil préféré des intervenants de l’engagement.

Je souhaiterais en donner un dernier exemple. Certains parmi mes lecteurs se souviendront peut être de l’observation que j’ai pu faire à propos de la phase dite "de conception" dans le cadre d’une pédagogie de projet (cf. le chapitre premier). Je rappelle simplement que les animateurs sensibilisent leur public par un questionnement, puis l’impliquent dans l’activité en lui suggérant de dégager lui-même les idées phares de la future production. Ils peuvent pour cela utiliser un tableau où les propositions émises sont notées pour être ensuite débattues "démocratiquement" et sélectionnées. Si ce type de méthode – qui fait les beaux jours du management du personnel et de la démocratie d’entreprise – peut paraître "honnête", elle est en fait un exemple parmi d’autres de pas dans la porte puisqu’en obtenant l’adhésion de son public au jeu des questions, et en verrouillant cette décision par celui du tableau et de l’auto gestion, ce qui n’est pas très coûteux, l’équipe d’animation "manipule gentiment" son public en l’entraînant dans un processus où il acceptera de lui-même et sans contrainte ni pression extérieure à s’engager dans la réalisation d’actes et de comportements, en l’occurrence bénéfiques et créatifs, auxquels il n’aurait probablement pas souscrits sans cela. Là où la technique fait des miracles, c’est qu’elle va générer des comportements non expressément requis par l’équipe d’animation mais survenus comme autant d’adaptations aux circonstances. Or, cela est fort intéressant lorsqu’il s’agit de s’écarter d’une pédagogie verticale et persuasive, et qu’il faut enseigner à un public parfois difficile comment apprendre à apprendre.

Une troisième technique est celle de "la porte au nez". Beaucoup plus subtile que les précédentes, elle consiste à présenter au sujet une requête extrêmement onéreuse, et qu’il va donc obligatoirement décliner, afin de lui faire accepter par la suite une requête beaucoup plus raisonnable. Bien qu’elle ne soit pas très pratiquée en intervention Porte au nez présente une efficacité des plus redoutables. Elle fut tentée pour la première fois en 1975 par Cialdini et al. Ceux-ci avaient pour but d’obtenir d’étudiants qu’ils acceptent d’accompagner durant deux heures, des jeunes délinquants au zoo ! Lorsqu’ils leurs présentèrent la chose de la façon la plus courante possible, ils n’obtinrent que 16,7 % d’adhésions. Ils attaquèrent ensuite un second groupe de la manière suivante : "Nous sommes en train de recruter des étudiants qui accepteraient de travailler comme conseillers bénévoles au Centre de Détention pour Jeunes Délinquants de la région. Ce travail exige que vous lui consacriez au moins deux heures hebdomadaires pendant au moins deux ans. Vous seriez amené à tenir le rôle de grand frère auprès de l’un des garçons. Seriez-vous intéressé ?"

Evidemment nul ne le fut… Les expérimentateurs ne s’arrêtèrent pas là : "Nous recherchons également des étudiants pour accompagner un groupe de jeunes du Centre de Détention lors d’une visite au zoo. Ici encore nous n’avons besoin que de bénévoles et cela vous prendrait environ deux heures dans l’après-midi ou dans la soirée. Seriez-vous intéressé ?"

Les chercheurs obtinrent cette fois 50 % d’adhésion.

Bien que l’emploi de Porte au nez n’aille pas de soi pour le commun des mortels, car il s’agit après tout de provoquer une première réaction de rejet, des exemples peuvent également se trouver hors laboratoire. Un ami vient vous emprunter une somme d’argent qu’il sait être au dessus de vos moyens. Vous ne pouvez que refuser malgré votre gêne. Dépité, il vous propose bientôt de ne le dépanner que de 5 ou 600 F… bon prince, vous lui en donnez 1000. S’il vous les avait directement demandé il n’aurait eu qu’une chance sur deux. Attention à Porte au nez…

Mes lecteurs se douteront bien que je ne dresse ici qu’un portrait extrêmement épuré des phénomènes de la décision et des techniques mises en évidence par la psychologie de l’engagement. En décrire les tenants et les aboutissants ne saurait se faire en quelques pages. Une chose qui n’aura cependant échappé à personne est le caractère ambivalent de ces techniques. Pour autant qu’elles se fondent sur des mécanismes naturels de l’esprit humain, mécanismes que nous rencontrons quotidiennement dans nos interactions avec nos proches comme avec nos lointains, elles n’en sont pas moins à double tranchant lorsqu’elles sont placées dans des mains mal intentionnées. Elles connurent même, et bien avant leur mises à la lumière, de nombreuses applications commerciales, publicitaires et dans le domaine des relations d’entreprise qui peuvent, lorsque l’on se donne la peine de réfléchir courageusement remettre en cause très sérieusement notre "sentiment" de liberté. Nous avons en effet parfaitement conscience de l’existence des rapports de forces et du pouvoir hiérarchique, nous avons appris – du moins peut-on l’espérer – à nous défier des discours propagandistes de type persuasif, et nous sommes forgés de belles barricades idéologiques, culturelles, rationnelles et religieuses pour nous convaincre nous-même que nos comportements nous sont dictés par nos idées ; néanmoins il apparaît en regard de ces travaux que certains d’entre eux, alors même qu’ils émanent de notre volonté nous sont plus ou moins volontairement imposés sans contrainte !

Or, ce phénomène étant naturel, la plupart des manipulateurs, séducteurs, escrocs, responsables communication, mais certainement aussi syndicalistes, politiciens de tous bord ou que sais-je encore ne se sont certainement pas fait prier pour nous en faire profiter… mais pour autant, devons-nous nous priver d’un outil qui pourrait, placé entre les mains de ses spécialistes, et en collaboration avec des éducateurs à l’environnement, nous permettre d’appuyer bon nombre d’actions pédagogiques ? Certes il me paraît très rationnel de s’appuyer comme il se fait déjà sur la jeune génération, mais ne pourrions-nous pas également toucher les adultes par ce type de techniques combinées à des actions de type "proximité". Je poserai toutefois et dans l’instant un moderato en ne suggérant de cantonner ses méthodes qu’aux seuls "petits gestes[1]" dont je parle depuis le début de cet exposé, petits gestes qui doivent cependant devenir des habitudes, aussi naturelles que celle de jeter son mégot par terre…

Si nous analysons d’ailleurs le déroulement des séances de type "Inf’Eau bus" ou encore "Eco-Quartier" nous nous rendrons vite compte qu’elles fonctionnent à partir d’une succession de prises de décisions faisant adhérer l’individu à tel ou tel comportement, et qu’elles l’entraînent progressivement vers un changement concret de sa façon de vivre, et ce, pour son plus grand bénéfice et pour celui de la collectivité. L’adhésion à un petit jeu de questionnement qui ne prend que quelques minutes, l’adhésion à la lecture d’une brochure, puis l’adhésion plus contraignante à la tenue d’un cahier d’auto diagnostic, une visite de deux heures… Les résultats statistiques sont là et peuvent, j’en suis convaincu, s’expliquer en partie par un phénomène d’effet de gel chez les apprenants.

Mon discours n’entend cependant pas minimiser le caractère démonstratif et impliquant du travail de proximité, bien au contraire, la démonstration et la mise en situation permettant de faire exécuter à l’apprenant un comportement type qu’il pourra répéter et décliner par la suite. Souvenons-nous de la pédagogie de projet : l’implication se fait de la même façon.

Il me paraîtrait donc raisonnable de songer à utiliser intelligemment les apports de la psychologie sociale en matière d’éducation au respect de l’écosystème en général, et de l’eau en particulier. Encore une fois, il me paraît possible de le faire à partir d’un encadrement dévoué au bien public et respectueux de l’individu.

De telles expériences ont par ailleurs été déjà tentées en France par MM. Beauvois et Joule  en matière de recherche d’emploi, de prévention contre le Sida, et d’économies d’énergie. Elles furent couronnées de succès. Voici, tiré de leur ouvrage "La soumission librement consentie" un bref compte-rendu de la dernière expérience[2].


[1] Il me semble aussi logique de n’envisager cela que sur des îlots restreints de type "quartiers" ou "arrondissements" et de progresser îlot par îlot et problème par problème. Ce n’est là qu’une idée personnelle tenant à des raisons matérielles dont il faudrait sûrement débattre avec les spécialistes.

[2] Je ne rapporterai pas les propos tenus par les expérimentateurs à leur public dans leur exactitude afin de ne pas alourdir la longueur de mon compte-rendu. Il est néanmoins nécessaire de souligner que la précision étudiée des mots employés par l’intervenant est dans ce type d’expérience d’une importance capitale.

 

Précédente                       Table des Matières                       Suivante

Vous êtes un professionnel de l’eau, un professionnel de l’éducation, vous représentez une collectivité, une institution, un Etat, un Royaume, vous recherchez un éducateur, vous voulez monter un programme pédagogique ? Le mener à bien ?

J Ecrivez-moi J