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Exposé Intégral Tout Savoir en une seule page !
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E / Quelques réflexions sur la question agricole. Selon les estimations de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) l’agriculture irriguée fournit aujourd’hui (chiffres de 1999) 40 % de la production alimentaire mondiale et devra assurer 60 % des denrées nécessaires à nourrir les 8 milliards d’habitants que comptera la planète en 2025. Un Rapport de l’Organisation[1] publié le 22 mars 1999 à l’occasion de la journée mondiale de l’eau a établi que "l’amélioration des disponibilités alimentaires dues à l’irrigation devrait venir essentiellement de changements apportés à un secteur encore dominé par les petits producteurs… les petits périmètres irrigués sont – et continueront d’être – indispensables à la sécurité alimentaire mondiale". Selon ce rapport l’utilisation de techniques d’irrigation produites localement et à faible coût telles que les pompes ou les systèmes de goutte-à-goutte permettent d’augmenter les productions et de générer plus d’emplois, et partant, plus de revenus. Au Bangladesh, par exemple, l’irrigation par eau souterraine a accru d’environ 250 % les emplois agricoles depuis 1985. Ces techniques offertes aux petits exploitants, a souligné la FAO, doivent avoir un faible coût, être faciles à assimiler, et être accessibles à tous… et à toutes. Lorsque j’ai souhaité me pencher sur la problématique de l’éducation du public au respect de l’eau j’ai pris volontairement le parti de n’entendre le terme de "public" que dans son acception la plus générale, celle de la collectivité. Je ne me suis donc pas centré sur l’éducation d’une catégorie particulière d’individus, ce choix me permettant de me consacrer plus efficacement aux méthodes et aux outils. Après tout, personne n’a jamais dit qu’une classe d’eau ou qu’un CD-Rom n’est destiné qu’à une seule fraction du public et pas à une autre, sachant que la démarche éducative réside dans la volonté d’utiliser divers outils en fonction d’objectifs pédagogiques. Nous savons d’ailleurs désormais qu’il existe des outils pour enfants, pour adultes, des sessions de classes d’eau pour élus, pour PME-PMI, et je pense pouvoir prétendre qu’en dehors de quelques outils très spécifiques à une catégorie, tels que le seront un document destiné aux cours élémentaires ou une plaquette destinée aux métiers de l’imprimerie, tout document ou toute démarche doit en principe être adaptable. Il ne m’est donc pas apparu indispensable de me pencher spécialement sur une fraction particulière de ce public. Il en eût été tout autrement si mon sujet avait concerné l’éducation du public industriel au respect de l’eau ou l’éducation au respect de l’eau en milieu hospitalier. Une exception m’a toutefois semblé nécessaire, celle portant sur l’univers agricole. Je crus en effet m’apercevoir lors de mes recherches que la majorité des éducateurs au respect de l’eau se concentraient tout particulièrement sur la dénonciation des pollutions d’origine agricole. J’irai jusqu’à dire qu’ils manifestent sur ce point une certaine insistance. Bien que la pollution d’origine agricole soit une réalité et que l’agriculture soit le principal utilisateur de la ressource, cette attitude propre à stigmatiser une catégorie du public par rapport aux autres me dérangea. J’en fait ici une question de principe. En effet, je ne vois pas pourquoi l’enfant des villes que je suis, qui produit également des rejets chimiques et organiques et qui attend parfois plusieurs mois avant de réparer un robinet qui fuit, irait montrer du doigt une personne qui non seulement utilise l’eau pour sa propre consommation, tout comme moi, mais qui se trouve également dans l’obligation immanquable de l’utiliser pour exercer son activité professionnelle, à savoir produire ce qui viendra remplir mon assiette. Je ne crois pas de toute façon que le débat consistant à savoir qui de l’agriculture, de l’industrie, ou des usagers domestiques pollue le plus le milieu soit des plus constructifs. N’étant pas scientifique de formation et ne disposant encore que de peu de paramètres sur la question – en admettant que je les maîtrise un tant soit peu – je ne saurai avoir la cuistrerie d’y participer. En revanche il me paraît plus raisonnable de prétendre qu’un tel débat ne peut aboutir qu’à une fermeture d’esprit de part et d’autre et partant, bloquer tout dialogue. Il ne s’agit plus au moment de parler de partage de la ressource, de solidarité entre amont et aval, de pédagogie du public, et d’évolution, d’en rester à l’expression de pulsions émotionnelles primaires et de commencer par s’accuser mutuellement. Je ne suis pas le premier à le dire et ne serai vraisemblablement pas le dernier. J’ai donc souhaité poser ici la question des relations entre éducation au respect de l’eau et monde agricole, et si possible, donner la parole à celui-ci. A vrai dire je ne choisis pas le terme de "relations" au hasard car il apparaît qu’il n’existe pas à proprement parler de démarche éducative au respect de la ressource, du moins pas au sens strict, vis à vis des agriculteurs. Elle est plus précisément remplacée par une démarche informative et d’accompagnement à la gestion. C’est du moins ce qu’il ressort d’une enquête que j’ai pu effectuer auprès de diverses personnes, notamment de M. Frédéric Andrieux, Chargé d’études à la Chambre d’Agriculture du Var, de M. Alain Coullet qui fut à l’origine d’une initiative pédagogique dont je parlerais plus tard, et de la Cellule Irri-Mieux de l’Association Nationale pour le Développement Agricole[2]. Les développements concernant cette partie de mon exposé m’auront été principalement inspirés par leurs témoignages ainsi que par la documentation qu’ils auront eu la gentillesse de me confier. Je me permets ici de le signaler tout particulièrement et de les en remercier car je dois bien reconnaître que cette enquête fut pour moi des plus difficiles et finalement assez décevante dans ses résultats. La question évoquée ici aurait tout d’abord méritée d’être plus longuement traitée, elle aurait d’ailleurs justifié à elle toute seule un sujet d’étude, tant le monde de l’agriculture est vaste en intervenants personnes physiques et personnes morales. De par ses caractéristiques intrinsèques, dont je parlerais dans un instant, il se présente en effet comme un véritable labyrinthe formé de diversités locales, culturelles, mais aussi humaines et caractérielles. Pour être tout à fait franc ma démarche rencontra des pertes de temps énormes et de multiples réponses souvent formulées "à côté". Si l’accueil fut généralement des plus courtois, les propos furent plutôt laconiques, et l’aspect pédagogique quasiment jamais abordé[3]. Je dirais même que les termes de "pédagogie" ou d’"éducation" sont ici inadaptés, ou en tous les cas perçus comme tels. C’est que l’activité agricole possède une particularité qui en fait un cas d’école "difficile" : elle touche à l’affectif. Plus précisément elle se relie à un savoir ancestral, à une pratique traditionnelle, mais aussi à un patrimoine régional. Elle est en elle-même une culture et la confrontation entre celle-ci et de nouvelles habitudes, fussent-elles le fruit de réflexions poussées, ne manque pas de susciter incompréhension de part et d’autre. L’une des erreurs à ne pas commettre à mon sens est de ne réduire la question agricole qu’à un problème d’usage de l’eau. Restreindre les agriculteurs à la seule image des irrigants néglige l’aspect patrimonial de l’activité et l’isole du reste de la collectivité. C’est là souscrire à une image d’Epinal qu’il nous faudrait abandonner dans l’intérêt de tous. L’univers rural et forestier recouvre d’une part une large partie du territoire et joue un rôle important dans le transport et la conservation de l’eau. C’est le cas dans la région PACA où les canaux d’irrigation font quasiment partie de l’écosystème. D’autre part, si ses pratiques lui viennent d’un savoir traditionnel il n’en est pas pour autant déconnecté - ou ne doit pas l'être - d’avec le monde non-agricole. Il ne faut donc pas le ranger à part, mais au contraire l’y relier et démontrer à l’un comme à l’autre l’existence de ces liens. Voilà une approche systémique ! Une chose qui paraît en revanche essentielle est de territorialiser la "question agricole". Les pratiques d’irrigation, pour autant qu’elles soient séculaires, diffèrent d’une région à une autre, de la même façon que l’écosystème sur lequel elles ont cours. Une obligation tout aussi impérative est ici plus qu’ailleurs d’adapter le discours "pédagogique" à son destinataire. Ce public, rappelons-le encore une fois, est détenteur d’un savoir-héritage, est émotionnellement et professionnellement attaché à sa terre, possède une fierté proverbiale, et voit sa vie quotidienne réglée selon un rythme qui lui est bien personnel. Il n’est donc pas d’un abord facile pour le non-initié, d’autant qu’il a aussi ses idées reçues. Toute la question est ici d’établir avec lui une relation de proximité. Or, cela implique de la part du "pédagogue" de faire un effort de mise à niveau. Il ne s’agit pas pour lui de se positionner comme celui qui sait et qui s’adresse à celui qui ne sait pas, et moins encore de recourir à un discours ou à une attitude formelle, c’est à dire à une attitude "de bureau". Il peut être plus judicieux de sa part de se rendre en soirée chez son interlocuteur, armé de tout son temps, de toute sa bonne humeur, et d’un soutien… de type œnologique, plutôt que de convoquer celui-ci à une assemblée se tenant à 10 h du matin. Certes cela fait sourire le citadin, mais c’est là une réalité. Aussi l’agriculteur irriguant acceptera t’il plus facilement la parole d’un pair que celle d’un intervenant extérieur. Cela est d’autant plus vrai que ce pair sera souvent quelqu’un qui maîtrisera un savoir nouveau parce qu’il l’aura lui-même testé sur sa propre exploitation, le risque ainsi couru et les résultats ainsi obtenus faisant gage de crédibilité[4]. Toute démarche d’éducation suppose donc une implication de toute la profession, en particulier un travail au niveau des regroupements associatifs et syndicaux. J’ai pu par exemple apprendre que l’on recrée dans cette optique des Fédérations départementales d’Associations Syndicales. L’animation de ces structures ayant ici pour objectif de rendre à l’association syndicale son rôle de promoteur d’une culture de partage de l’eau, celle-ci ayant apparemment disparu avec celle de la solidarité. Cette préférence pour le contact avec un pair peut également s’expliquer par la spécificité que doit présenter le contenu d’une "éducation" de l’irriguant. Elle doit comporter dans un premier temps un important volet technique car la gestion rationnelle de l’eau passe avant tout par l’installation d’un équipement adapté au territoire géophysique et à la culture concernée, matériel souvent moderne et nécessitant donc une parfaite compréhension de son utilisation. Mais cette "éducation" doit aussi prendre en compte le fait que l’installation d’un équipement doit s’intégrer dans une véritable stratégie de projet tenant compte des perspectives du marché. C’est là un point qu’il convient de ne pas oublier lorsque l’on entend débattre de la problématique agricole. La contrainte comptable est une réalité pour tout secteur de production aussi le comportement de l’agriculteur est-il lui aussi dicté par des impératifs de gestion. C’est pour cela qu’il me paraît essentiel de ne stigmatiser personne et d’établir au contraire une concertation d’ensemble. C’est d’ailleurs bien le sens d’une culture de l’eau partagée. L’usager domestique ou industriel ne se pose pas la question de l’impact de son activité sur la ressource, du moins jusqu’à ce que la loi, l’éducateur, ou les faits ne l’y obligent. Or il demandera toujours à l’agriculteur de se poser cette même question. C’est raisonner de l’extérieur, en considérant l’agriculture comme un corps isolé, alors qu’elle regroupe en fait une multitude d’entreprises ayant chacune leurs propres contraintes économiques. C’est sans doute à cause de tout cela que l’éducation du public au respect de l’eau adopte en direction du public agricole la forme d’une démarche de conseil et d’appui technique. Schématiquement il est possible de présenter cette activité en distinguant le conseil lié à l’équipement de celui lié au pilotage de l’irrigation[5]. Le conseil lié à l’équipement concerne d’abord l’assistance de l’irriguant ou d’un groupe d’irriguants dans les démarches administratives et techniques qu’il lui incombe d’accomplir lorsqu’il décide de se doter d’une nouvelle ressource (forage ou mise en place d’une réserve d’eau). Il s’agit là pour la partie pratique des diverses études de projets, en termes de faisabilité technique et financière, et pour la partie administrative des démarches de déclaration ou d’autorisation, ou de celles relatives à l’obtention d’une subvention. Chambres d’agricultures, associations syndicales et bureaux d’études sont les intervenants les plus courants. Il concerne également une assistance au choix de l’équipement proprement dit. Il s’agit ici d’une étude visant à rechercher le matériel en correspondance optimale avec les capacités de la ressource et le parcellaire à irriguer. Ce type de conseil apporté par les conseillers machinistes des Chambres ou de façon directe par les concessionnaires de matériel est strictement individuel. Un système de subvention et d’agrément favorise la promotion du matériel le plus efficient en terme de consommation. Ce type de conseil se prolonge par une assistance au diagnostic des installations. Le conseil lié au pilotage d’irrigation vise quant à lui à aider l’irriguant à déterminer les périodes et la fréquence de ses irrigations, ainsi qu’à en prévoir le dosage. Les actions de masses sont les plus courantes. Elles consistent d’abord en des avertissements hebdomadaires donnés par voie de presse spécialisée et relatifs aux données météorologiques nécessaires au pilotage de l’irrigation (pluviométrie, prévisions climatiques et coefficients culturaux). S’y adjoint parfois par courrier, fax ou voie de presse un bilan hydrique modélisé par cas types (de sols, de coefficients culturaux… ) détaillant de façon théorique les besoins en eau pour chaque plan considéré. Un suivi de parcelles de références peut aider le technicien à affiner son message hebdomadaire. Réalisé sur le terrain il permet de mesurer le stade des plants, la tension sur le liquide ainsi que la gravimétrie, et offre donc plus de crédibilité. Ce type de conseil est généralement accompli par les techniciens des Chambres d’Agriculture en collaboration avec Météofrance, avec des instituts techniques et avec des irriguants. En région PACA il est confié à un organisme particulier : l’ARDEPI ( pour Association Régionale pour le Développement des Productions Irriguées). D’autres actions concernent en revanche un conseil de groupe : elles s’adressent cette fois-ci à un ensemble plus restreint d’irriguants (entre 40 et 140) mais ce n’est pas là leur spécificité. Celle-ci réside en fait dans ce qu’elles impliquent leurs destinataires dans l’élaboration du conseil par un système d’échange de données entre les deux pôles. Il s’agit concrètement d’établir des bilans hydriques à partir de sites témoins ou de parcelles de références et de transmettre les informations recueillies par divers moyens, notamment télématiques. Le procédé permet un conseil personnalisé et le calage d’une stratégie d’irrigation sur un exemple type. Les organismes produisant ce type de conseil seront cette fois la plupart du temps les groupements d’agriculteurs (Coopératives, Centres et Groupes d’Etudes Techniques Agricoles) le suivi technique étant confié à des ingénieurs agronomes. Une version individuelle de ce type de démarche a également été développée dans certaines régions. Les actions ne se distinguent ici les unes des autres que par les moyens matériels utilisés. Elles ne touchent en revanche que très peu d’irriguants. Même si elles favorisent la diffusion d’une connaissance de la ressource et de sa gestion rationnelle, la plupart de ces actions de conseil ne peuvent, on le voit très bien, difficilement être assimilées à une démarche pédagogique. D’autres actions se rapprochent cependant de l’éducation grand public en ce qu’elles concernent l’édition de brochures et des actions de formation. Les actions de formation sont aléatoirement réparties sur le territoire, elles sont majoritairement mises en œuvre par les chambres d’agriculture en collaboration avec des partenaires techniques, instituts, agriculteurs ou syndicats. Elles sont gratuites pour la moitié et sont organisées de façon à ne regrouper que 10 à 20 stagiaires pendant 3 jours. Elles sont généralement destinées aux nouveaux irriguants, certaines étant pour eux une obligation. Ces formations concernent généralement la connaissance de la ressource ainsi que la réglementation et le pilotage. Un volet économique s’y adjoint lorsque les stagiaires ont un projet d’irrigation. Se déroulant en salle elles se composent d’exposés et de démonstration d’outils, le but étant pour les formateurs de lutter contre le pilotage d’habitude. Des brochures techniques sont également employées en appui à ses formations. Elles sont généralement coproduites par de multiples organismes. Spontanément adressées à l’irriguant ou bien à sa demande, elles lui sont couramment fournies soit par l’organisme éditeur soit par son groupement. L’ARDEPI édite ainsi sur la région PACA deux documents par an. Ils peuvent également être adressés à toute personne intéressée au niveau national. L’Enseignement agricole intègre quant à lui la gestion rationnelle de la ressource dans le contenu de ses programmes et évoque le respect de l’eau dans le cadre de l’agriculture durable. Il s’efforce de veiller à l’équilibre entre formation théorique et apprentissage en situation. Un enseignement spécialisé peut en terminale comporter un volet concernant la protection de la ressource qualitativement et quantitativement. Il existe également d’autres expériences qui ne sont pas nécessairement liées avec le milieu agricole mais qui, touchant aussi d’autres secteurs liés à la problématique de la ressource joueront un rôle à l’égard du monde rural. C’est le cas de l’opération "Rivières, partages de l’eau" menée à bien par le CEDEPI depuis 1992-93 et qui est toujours en cours[6]. L’idée est celle d’une co-formation sur le bassin versant valorisant les initiatives des ruraux en faisant un état des lieux des savoirs afin de pouvoir les échanger. Transversal et fédérateur, le thème de l’eau a été le premier retenu. A l’origine le programme n’avait pas pour objectif celui d’entreprendre une action pédagogique mais plutôt de servir d’intermédiaire, de territorialiser la problématique afin d’entreprendre la création d’une culture de l’eau sur telle ou telle zone. Je souhaiterais pour conclure ces quelques éléments de réflexion sur l’agriculture évoquer une expérience pédagogique qui appartient désormais au passé, puisqu’elle connut existence de 1989 à 1996, et dont la réédition s’inscrirait à mon avis parfaitement dans l’actualité, tant son esprit était innovateur : il s’agit du Réseau MEA pour Maîtrise de l’eau en agriculture et dans l’espace rural de l’enseignement agricole et de son bulletin "l’Infores’eau". l’un de ses animateurs, M. Alain Coullet, Ingénieur agronome, eût la gentillesse de bien vouloir me recevoir à son bureau, en Avignon (Vaucluse) et de m’accorder une interview. Les années 1982-1984 se caractérisèrent pour l’enseignement agricole par une phase de profonde réflexion. Son aboutissement fut la création d’un système de Réseaux Nationaux d’Expérimentation et de Développement destinés à lutter efficacement contre les problèmes de mauvaise liaison dans les domaines agricoles les plus divers tels que les vins, les grandes cultures, ou l’hydraulique. Le RNED hydraulique donna bientôt naissance à une configuration d’établissements travaillant sur l’eau, sur sa qualité, sur l’irrigation et sur le drainage. Les synthèses qu’il publia en ce temps sont d’ailleurs à l’origine de l’actuel Guide pratique de l’irrigation. Seulement, le volet pédagogique du RNED n’était pas considéré comme devant uniquement être mis en relation avec l’enseignement agricole traditionnel mais devait également s’intégrer dans la recherche d’une perspective de développement. La question sous-jacente était en fait de savoir comment construire un enseignement agricole. Elle se posa réellement en 1987. Vînt alors l’idée de créer un réseau qui ne serait pas seulement un réseau d’expérimentation mais qui servirait à donner une impulsion, et à faire un travail d’animation et de développement au sein de l’enseignement agricole. L’idée était de partir de l’enseignement agricole et de montrer que la gestion maîtrisée des techniques et de la ressource telle qu’on la recherchait passait par l’implication de la formation et de l’enseignement, afin que les intervenants puissent avoir une information et puissent se faire aider, que des liens soient créés entre les différents partenaires et que les formateurs soient intégrés et considérés comme partie prenante au développement agricole. Le Réseau MEA était né. N’ayant aucun rôle directif ni administratif, il se voulait en revanche un outil de lutte contre le cloisonnement des divers enseignements et de façon plus générale contre tout esprit de clivage et de fermeture induit par les logiques d’entreprise et de production. L’enseignement agricole se heurtait en effet bien souvent à des problèmes de liens entre la recherche et l’enseignement supérieur, ce dernier ayant une conception hiérarchisée du savoir (partageant le monde entre ceux qui savent et ceux qui pratiquent), alors qu’en matière de développement cette idée est dépourvue de sens. Le Réseau entendait plutôt pour sa part se rapprocher d’un enseignement de type technologique en prônant l’idée selon laquelle le travail de réflexion sur le terrain offrait des possibilités d’apprentissage au moins égales, et en tous les cas adaptées à la réalité du développement local. Il lui fallait pour cela suivre en animation tous les évènements se produisant sur le plan environnemental, observer les évolutions de l’enseignement agricole, puis s’atteler à un travail transversal : fournir des bibliographies, décrire les actions de divers organismes et créer, notamment par le biais de son bulletin l’Inforés’eau une dynamique de liens. Publié une fois l’an, Inforés’eau comprenait sur une cinquantaine de pages un agenda des évènements pour l’année scolaire pouvant intéresser aussi bien les irriguants que les étudiants en formation, une multitude d’articles et de brèves traitant des sujets les plus variés et invitant le lecteur à participer en renvoyant à la rédaction ses propres réflexions, des pages spéciales sur les actions entreprises par les établissements d’enseignement, et ce qui en fit selon moi sa principale richesse de très nombreuses références et de très nombreux contacts. Grâce à Inforés’eau le lecteur avait ainsi la possibilité de se procurer une quantité impressionnante d’informations et une liste non moins conséquente de personnes ressources, et pouvait également devenir acteur du réseau, du fait de l’interactivité entre lui-même et la rédaction. Alain Coullet et ses confrères inventèrent en quelque sorte une base de données Internet sur papier glacé ! En effet, considérons simplement un instant la formidable possibilité de communication et de prise d’autonomie offertes par un tel outil… Alors que l’on parle aujourd’hui de promouvoir une culture de l’eau partagée et de fédérer les associations syndicales d’agriculteurs, il me semble que la réapparition d’un Réseau MEA serait des plus d’actualité[7] ! C’est par cette considération que je mettrai un terme à ce deuxième chapitre. Axant principalement son travail sur les jeunes générations ou les adultes en formation, l’éducation du public au respect de l’eau telle qu’entendue aujourd’hui dans notre pays reste encore fortement liée aux cadres éducatifs préexistants et ne semble pas encore avoir développé sa propre autonomie. Multiple, elle présente une grande richesse d’initiatives et d’intervenants et use des supports les plus divers, des plus traditionnels aux plus modernes. [1] Il s’agit du rapport intitulé "Atténuation de la pauvreté et agriculture irriguée" publiée par le Programme international pour la technologie et la recherche en matière d’irrigation et de drainage (IPTRID) de la Division de la mise en valeur des terres et des eaux de la FAO. Sa version pdf anglaise est téléchargeable à partir de la page http://www.fao.org/nouvelle/1999/990306-f.htm en cliquant sur le lien désigné. [2] Crée en 1996 elle a pour mission de gérer le Fonds National de développement Agricole (FNDA – 800 MF en 1999), de définir les objectifs et les priorités pour une politique de développement s’inscrivant dans le cadre des orientations de la politique agricole et alimentaire, et de contribuer au financement des programmes de développement préparés et mis en œuvre au niveau national, régional, et départemental. La loi d’orientation agricole de juillet 1999 a confirmé ses missions. [3] Je tiens donc à préciser explicitement à mes lecteurs que la question ne fera ici et à mon grand regret l’objet que d’un examen sommaire, lequel posera peut être plus de questions qu’il ne donnera de réponses. Il me permettra toutefois de faire ressortir quelques éléments clefs de la problématique et d’ébaucher quelques pistes à l’attention de qui voudra s’y consacrer. [4] Ceci n’est d’ailleurs pas propre au monde agricole. Montrer que l’on est soi-même un acteur de la gestion de l’eau, et que l’on tient un comportement en adéquation avec son discours est un atout majeur pour transmettre un message éducatif. [5] Cette présentation est celle retenue par l’Etat des lieux des actions de conseil et d’appui technique en irrigation réalisé en janvier 1999 par l’Association Nationale pour le Développement Agricole dans le cadre de l’opération Irri-Mieux. [6] Sur la centaine de sessions réunissant des acteurs différents (tels élus et agriculteurs) qui avaient été initialement prévues, 60 à 70 ont pour l’instant abouti. [7] L’opération fut stoppée en 1996, le Ministère de l’agriculture et de la pêche stoppant ses crédits pour des raisons de restrictions budgétaires.
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